Gestation pour autrui en Belgique: aller d’une absence de cadre légal à une interdiction
En plus de ne pas être strictement encadrée sur le plan légal dans notre pays, la GPA présente une grande insécurité juridique. Cette pratique appelle un débat fondamental sur l’instrumentalisation et la chosification de la femme et de l’enfant.

L’association « Men Having Babies » débarque à l’hôtel Hilton pour la seconde fois ce week-end avec pour objectif de présenter aux couples de même sexe les possibilités de recourir à une mère « porteuse » aux Etats-Unis. Cet événement place à nouveau la gestation pour autrui (GPA) au centre de l’attention médiatique belge et nous renvoie à notre flou juridique à son propos. Le Sénat avait entamé une réflexion début 2015 dont on ne semble pas encore sorti 20 mois plus tard.
Absence de cadre légal
La GPA est une méthode de procréation où une femme s’engage à porter un enfant et à le restituer à sa naissance à un couple tiers contre rémunération (GPA dite « commerciale »), ou à titre gratuit (GPA dite « altruiste »). La Belgique n’encadre pas légalement cette pratique. Ainsi, selon le principe de légalité en vertu duquel une personne ne peut être condamnée que sur la base d’un texte précis, tout ce qui n’est pas clairement interdit est de facto autorisé. En effet, quatre hôpitaux la pratiquent en Belgique et l’on dénombre plus de 150 cas, tous concernant des couples hétérosexuels dont l’utérus de la femme ne peut supporter une grossesse. A ce jour, aucun couple de même sexe n’a eu recours à la GPA en Belgique. L’ASBL Homoparentalités explique ceci en disant « c’est un problème de non-information. Les couples gays pensent que c’est illégal en Belgique et n’essayent même pas » (1). Cependant, une grande insécurité juridique entoure cette pratique. En effet, toute convention par laquelle une femme s’engage, fut-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant est nulle devant la justice belge en ce qu’elle contrevient, en autres, à deux principes fondamentaux dans notre arsenal juridique : la dignité de la personne humaine et l’indisponibilité du corps humain. Imaginons, par exemple, que la mère « porteuse » s’attache à l’enfant et ne veuille pas le restituer à sa naissance alors qu’elle s’y était engagée, aucun juge ne pourra l’y forcer.
Chosification du corps humain
Tandis que la GPA « commerciale » ne compte plus ses détracteurs tant les raisons de s’y opposer sont multiples (commercialisation du corps humain, exploitation de la misère des femmes, etc.), la GPA « altruiste » conserve des adhérents qui désirent l’encadrer strictement. Mon opinion est que ces derniers grossissent, à tort, les traits de l’argument de la gratuité alors qu’il est en réalité contestable, et surtout secondaire.
Contestable, d’une part, car, dans les faits, la GPA véritablement altruiste (sœur, meilleure amie, etc.) est rare et la mère porteuse reçoit toujours des indemnités et compensations qui ne sont que des salaires déguisés.
Secondaire, d’autre part, car, même si la mère « porteuse » n’est pas rémunérée, un « marché » bien lucratif se développe autour d’elle dont bénéficient avocats, médecins, psychologues et toutes sortes d’intermédiaires. En Inde, le commerce des mères « porteuses » avoisine le milliard de dollars par an. En outre, l’une et l’autre forme de GPA produisent les mêmes effets : l’instrumentalisation et la chosification de la femme et de l’enfant. Ces considérations éthiques rejoignent dès lors les balises juridiques de dignité humaine et d’indisponibilité du corps humain. En effet, l’intégrité de la personne humaine repose précisément sur le principe qu’elle n’est pas échangeable telle une chose. Or, c’est précisément comme une chose échangeable que l’enfant est perçu dans le cadre de la GPA. La grossesse quant à elle – et donc la femme –, est également instrumentalisée car elle devient dès lors considérée comme un « job » (commercial), ou comme un « service » (gratuit). La grossesse est ainsi conçue dans l’idée d’une séparation, et non d’un attachement progressif. Cette objectivation de l’enfant en tant que simple objet d’un contrat entraîne une négation totale du lien qui s’établit entre la gestatrice et l’enfant. Bien sûr, je ne reste pas insensible à la souffrance que représente l’infertilité d’une femme mais celle-ci ne peut l’emporter sur « la signification humaine et symbolique de la maternité ». La philosophe française étiquetée à gauche et épouse de Lionel Jospin, Sylviane Agacinski, renchérit dans Corps en miettes, vibrant plaidoyer anti-GPA, par des mots durs mais essentiels : « les aspirations meurtries ne se guérissent pas par tous les moyens ».
L’intérêt de l’enfant avant tout
Selon moi, le droit de l’enfant prime sur le droit à l’enfant. En 2007, l’ancienne députée fédérale, Clotilde Nyssens, s’interroge, dans sa proposition de loi réclamant l’interdiction de la GPA, si l’enfant né de cette méthode de procréation « n’est-il pas affecté d’une blessure psychique profonde, comparable à celle dont souffrent les enfants non désirés ? ». A ma connaissance, il existe peu d’études qui analysent l’état psychologique des enfants nés sous GPA, mais on ne peut rester sourd à certains propos alarmants et non ambigus. A titre d’exemple, Anne Schaub martèle que la séparation représente « une rupture traumatique aux conséquences bio-psycho-sociales néfastes tout au long de sa vie » ou encore « un préjudice existentiel de taille » pour l’enfant qui s’exprimerait sous la forme d’une angoisse d’abandon. Alors que le principe de précaution est invoqué à tour de bras dès que les enjeux environnementaux sont évoqués, pourquoi ne pourrait-il pas être appliqué de manière raisonnée pour de sensibles questions éthiques ?
Plaider pour une interdiction internationale
Le contre-argument revient légitimement en boucle : interdire ou encadrer trop restrictivement la GPA dans un pays intensifie le recours à ce procédé dans d’autres pays avec beaucoup moins de précaution pour la dignité de la femme. En outre, les arrêts Mennesson et Labassée c. France de la Cour Européenne des Droits de l’Homme obligent les Etats à reconnaître les enfants nés d’une GPA à l’étranger, ce qui ne freine pas cette tendance négative. En réponse à cela, on pourrait imaginer des sanctions pour les couples qui enfreignent la loi belge. Plus ambitieux et utopique, certains appellent, tel Manuel Valls, à une interdiction internationale de la GPA et de nombreux intellectuels de gauche ont signé une pétition pour l’interdiction universelle des mères « porteuses ». Espérons qu’ils soient entendus, y compris en Belgique.
(1) La Libre Belgique, « Mère porteuse en Belgique : possible mais pas si simple », 09/08/2014.
(2) Clotilde Nyssens (CDH), proposition de loi interdisant la maternité de substitution et le recours aux mères porteuses, octobre 2007.
(3) Psychothérapeute spécialisée dans l’analyse et le traitement des mémoires prénatales et psycho-généalogiques, des traumatismes de naissance et de la petite enfance.
(4) Anne Schaub, « La GPA préjudice de taille pour le bébé », 17/04/2015.
(5) Le Figaro, « Des personnalités de gauche s’engagent contre la GPA », 14/05/2015.
Source: http://www.lesoir.be/1324732/article/debats/cartes-blanches/2016-09-23/gestation-pour-autrui-en-belgique-aller-d-une-absence-cadre-legal-une-interdic